mardi 30 juillet 2013

La petite fille de Monsieur Linh, de Philippe Claudel

Voici un roman à l'écriture étonnante, à la plume qui mime l'innocence et la douceur de son héros. Monsieur Linh a quitté son pays, avec dans ses bras, serrés contre son coeur, une valise qui contient une vie et une petite fille de 6 semaines qui est sa vie.
Désemparé, hagard, il ne retrouve aucun parfum connu, ne comprend pas la langue, et s'accroche à sa petite pour ne pas sombrer. Ce vieil homme est touchant, si émouvant qu'on a envie de le prendre dans ses bras et de s'occuper de ce duo incongru, fragile, précieux.



" Oui, c'était bien là, se dit Monsieur Linh tandis qu'il pose l'enfant sur ses genoux après s'être assis sur le banc. La petite a ouvert les yeux. Son grand-père lui sourit. "Je suis ton grand-père, et nous sommes tous les deux, nous sommes deux, les deux seuls, les deux derniers; Mais je suis là, n'aie crainte, il ne peut rien t'arriver, je suis vieux mais j'ai encore la force, tant qu'il le faudra, tant que tu seras une petite mangue verte qui aura besoin du vieux manguier."

Nos étoiles contraires, de John Green

Au lieu d'emmener le livre à la plage, j'ai eu la fâcheuse idée de le lire lors d'une après midi pluvieuse et orageuse. Il faut avoir le coeur bien accroché, car il en ressort gros, gonflé d'émotions puissantes et incoercibles. C'est l'histoire d'une jeune fille qui a un cancer, qui tombe amoureuse d'un garçon qui a un cancer. Je sais que ça peut paraître très lourd et pesant, et pourtant, ce livre nous fait aimer la vie plus que jamais. J'ai pleuré, pleuré...  Il y a plein de moments très beaux, et ceux- ci sont démultipliés forcément car on sent, on sait, qu'il faut profiter.



" J'ai avalé une gorgée. Les minuscules bulles ont fondu dans ma bouche, puis elles ont pris la direction du nord et ont navigué jusqu'à mon cerveau.Doux. Frais. Délicieux.
-C'est vraiment très bon, ai-je dit. Je n'avais jamais bu de champagne.
Un jeune serveur (...) est apparu.
-Savez-vous ce que Dom Perignon a dit après avoir inventé le champagne?
-Non, ai-je répondu.
- Il a appelé ses frères moines et leur a dit: "Venez vite: je goûte les étoiles."

L'étincelle d'or, d'Eric Boisset

Je continue sur ma lancée "Eric Boisset", avec un autre roman de l'auteur qui m'a davantage captivée.
Les idées sont belles, on se laisse prendre au jeu, même s'il est farfelu, improbable. Qu'importe, du moment que c'est beau. C'est bien mieux écrit, se rapproche davantage des adultes que des adolescents, même si certaines actions peuvent paraître puériles, la fin laisse coi par sa réalité sans concession.



Chadi Medawar est aussi excentrique dans sa tenue qu'il est silencieux dans la vie. Ce jeune surdoué libanais a connu les affres de la guerre, et il utilise son apparence pour hurler en silence sa volonté de changer le monde. Cheveux rouge sang, habits cloutés noirs, il dérange autant qu'il inquiète, et personne ne le remarque pour les bonnes raisons. Sauf Erwan. Il saisit l'ampleur de ses dons le jour où il franchit les grilles du château où habite Chadi (oui car celui- ci est très riche, en plus d'être surdoué: un héros quoi): la découverte d'une serre arc- en- ciel va bouleverser leur vie...

" Au détour d'une allée, l'attention de Chadi fut attirée par une étiquette vivement coloriée, qui bruissait dans le flux tiède de la ventilation avec un petit bruit de grillon.C'était un sachet de bonbons vide enfilé sur un bambou en manière de plaisanterie. Probablement l'oeuvre d'un garnement venu ici savourer ses friandises favorites. Très intrigué, il s'en approcha, ce petit drapeau de cellophane prêtait à confusion. On aurait pu penser que... Soudain, il se figea, la cervelle crépitante de gerbes d'idées toutes reliées entre elles par des connexions logiques."



Par contre, je trouve la première de couverture très peu à la hauteur du livre, surtout Chadi, je ne me l'imagine pas du tout comme ça. Plus comme un Lisbeth Salander au masculin.

vendredi 26 juillet 2013

L'oeuf du démon, d'Eric Boisset, en littérature jeunesse

En tant que prof je me suis munie de quelques romans littérature jeunesse pour l'été, et je débroussaille tout cela pour indiquer quelques bonnes lectures à mes élèves.

L'oeuf du démon est un roman fantastique, spécialité d'Eric Boisset qui a rencontré le succès notamment avec La trilogie d'Arkandias.


Zacharie, collégien rusé à la mèche blonde toujours impeccable, reçoit par erreur un colis contenant un oeuf mystérieux. Avec son meilleur ami Farouk, alias Souf, ils entreprennent de le percer (le mystère, et l'oeuf aussi!). Las! Rien n'y fait. Une inscription en arabe les mène à la grand-mère berbère de Souf: Latifa. Celle-ci change de couleur à la vue de l'oeuf: elle refuse de prononcer la formule: cela libérerait un puissance maléfique: un maridin....

"Latifa se tenait assise sur un coussin, jambes croisées selon son habitude. Elle portait un caftan ouvert sur une robe d'intérieur en voile de satin. A son cou, brillait un collier d'or dont le motif représentait une abeille stylisée. Ses mains étaient couvertes d'arabesques brunes. Elle avait également des motifs géométriques sur les joues et le front, mais ceux-ci étaient tatoués, ce qui impressionnait tout particulièrement Zacharie. Quand elle releva vers lui son regard vert rehaussé de khôl, le garçon se sentit percé à jour.; Ses forces l'abandonnèrent, et il resta pétrifié devant elle, comme un lapin pris dans les phares d'une voiture. Latifa connaissait le pouvoir magnétique de ses yeux. Elle en usait avec délectation pour troubler ses hôtes. Au pays, on la disait un peu sorcière, mais c'était sans doute très exagéré."

C'est un roman simple et facile, assez prévisible. Il y a de bons passages mais somme toute l'action se traîne un peu. Les ados amateurs de fantastique et d'orient devraient y trouver leur compte.

mercredi 10 juillet 2013

Cinéma: "Starbuck" de Ken Scott

   Tombée par hasard dessus, ce film québécois a retenu mon attention et est un de mes coups de coeur de cette année.
  Inspiré d'un fait réel, c'est l'histoire d'un homme qui semble avoir raté sa vie: à 50 ans, il bosse dans la boucherie de son père, cultive de la beu dans sa cave, et se fait noyer régulièrement par les gorilles auxquels il doit de l'argent...

Puis un jour, l'avocat d'une grande clinique vient lui annoncer que suite aux dons de sperme qu'il a faits il y a vingt ans, il est le père de 533 enfants, dont 142 veulent le retrouver!

C'est touchant et hilarant, cela pose la question de la paternité et de la filiation, et de manière juste.
On passe un très bon moment, et on pense bien que finalement, chaque enfant est une source de bonheur infinie, alors imaginez multiplié par 533! Enjoy!

bande annonce starbuck le film

Sous le vent, texte de Jean-Bernard Pouy et illustrations de Joe G. Pinelli

A Bothoa, au coeur de la Bretagne, le jeune Pol s'ennuie et rêve déjà d'un ailleurs enivrant.
Beaucoup plus tard, après une guerre atroce et la perte de toutes ses illusions, il lui faut partir, coûte que coûte. Il lance une fléchette sur la carte du monde. La destination est choisie: ce sera les îles sous le vent.
Il part, mais encore trop chargé de souvenirs brûlants, de braises dangereuses.
Les vents de mers du sud raviveront le brasier.



Je retiens de ce livre les magnifiques illustrations qui oscillent entre l'enfer et le paradis, le rouge et le bleu, la colère et l'apaisement.
Voici un extrait qui me rappelle le poème "Les Ponts" de Rimbaud, dans le recueil Illuminations.

"Pol pensait que lui non plus ne s'était pas arrêté pour se demander s'il avait raison de vouloir gagner l'autre rive. Même pas à Panama, où il avait senti, pour la première fois qu'il était parti, qu'on lui donnait tort, qu'on lisait en lui. Il était arrivé ici, aux Marquises, assez brutalement, comme s'il avait traversé mentalement un immense pont. Et jusqu'à présent, il se contentait d'admettre qu'il avait eu raison. Une nature enfin apaisée, bienfaitrice, une femme aux goûts simples et assumés, une idée de survie possible, une paix. Voilà: une idée tangible de paix. Il avait tout simplement franchi la passerelle qui menait de la guerre à la paix."

Nina, de Simonetta Greggio et Frédéric Lenoir

" Un amour non vécu n'est pas un amour perdu.
C'est un amour qui vous perd, qui vous possède
                         plus que vous n'en êtes possédé."




Nina est un roman écrit à quatre mains, et une très belle histoire d'amour, dont on ressort souriant et apaisé.
Adrien a décidé de mourir. Il n'attend plus rien de la vie. Il feinte sa nounou de toujours, la seule femme qui s'occupe encore de lui, et projette d'avaler des médicaments.
Mais le soir venu, il fait le bilan et se remémore son enfance, ses vacances en Italie, et cette fille fabuleuse: Nina, dont il était éperdument amoureux. Il se met à lui écrire une lettre.
Puis comme Shéhérazade, chaque soir il va repousser le moment de mourir, préférant continuer d'écrire à Nina, seule raison de survivre à présent. Au fil des nuits, cela devient une immense déclaration d'amour, celle qu'il n' a jamais eu l'audace de faire. Il ne se doute pas que ces mots bouleversants vont croiser le chemin de plusieurs personnes et changer leurs destinées...

"Nina,
  Te souviens-tu de ce que nous répondions lorsqu'on nous demandait ce que nous voulions faire plus tard, quand nous serions "grands"? Alors tu répliquais, enthousiaste, "danseuse de lucioles", je restais muet. Mais, Nina,à toi je n'ai jamais rien caché de la passion qui me dévorait. Je voulais être, ou plutôt devenir, écrivain."

"Et puis un jour il y a eu cette étreinte. La seule. Ce rocher sous la lune, la mer argentée, le duvet clair de tes cuisses sous le short bleu, les trois grains de beauté en triangle sur ton cou, tes épaules moites et nues, fragiles comme les ailes d'un passereau. Nous nous étions assis côte à côte. Tu t'étais ébrouée et tes cheveux avaient frôlé mon cou. Puis tu t'étais blottie contre moi. Instinctivement j'avais alors osé faire ce que je désirais depuis toujours: passer mon bras autour de ton épaule et poser ma tête contre la tienne. J'avais effleuré tes pommettes et tes paupières de ma bouche, et nous étions resté ainsi, souffle court, peau brûlée."

dimanche 7 juillet 2013

L'expatriée, d'Elsa Marpeau

    L'expatriée  est un roman noir par son atmosphère et les sentiments obscurs qui agitent les personnages. Réécriture de L'Etranger de Camus (dont il y a d'ailleurs une citation en préambule), l'auteur nous livre une autobiographie de son voyage à Singapour, souvenir de son ennui profond, et de la moiteur intolérable qui règne sous ces latitudes. L'écriture se rapproche de celle de l'Etranger, blanche et désincarnée.



     Expatriée à Singapour dans un condo chic où des Français meurent d'ennui, Elsa voudrait commencer un nouveau livre mais elle tourne en rond, écrasée par la chaleur et le désoeuvrement. Sa vie change radicalement lorsqu'arrive Nessim, le nouveau Français  de la résidence qu'elle baptise "l'Arabe blond". Il devient son amant jusqu'à sa mort, deux mois plus tard. Assassiné de plusieurs coups de couteau. Parce qu'elle était sa maîtresse, Elsa devient aux yeux de tous la principale suspecte. Elle ne doit son salut qu'à Fely, sa maid philippine. Mais le prix à payer sera élevé...

"- Nous repoussons les frontières du désert.
La voix de l'Arabe blond se met à trembler. Il s'interrompt: 
- Je ne peux pas raconter dans ces conditions. Je... je n'y arrive pas.
- Il s'agit juste de mentir, dis-je pour l'encourager. De me donner infiniment plus que tu ne possèdes. De descendre tout un fleuve quand les autres, les gens sincères, commencent à peine à tremper leurs pieds dans l'eau. De boire aux fontaines qui coulent dans ta tête, d'offrir des festins imaginaires.de parcourir un continent quand ils traversent un département consultable sur les plans cadastraux."

  J'ai rencontré l'auteur au festival du polar le week end dernier et lui ai posé quelques questions. Salma est l'anagramme de son nom et la narratrice est schizophrène. Beaucoup de choses m'ont dérangée dans ce roman, mais cela contribue sans doute à établir une atmosphère étouffante: le ressassement sur la chaleur humide oppressante, l'attitude de la mère névrosée vis-à vis de sa fille, l'omniprésence de la pourriture, de cadavres en décomposition, la complaisance dans l'ennui morbide, l'ambiance mortifère, l'humanité niée.