lundi 19 août 2013

Les deux messieurs de Bruxelles, d'Eric-Emmanuel Schmitt, un recueil de nouvelles sur l'amour et la mort

Cinq nouvelles: Les deux messieurs de Bruxelles, Le chien, Ménage à trois, Un coeur sous la cendre, et L'enfant fantôme, suivies du Journal d'écriture de l'auteur, des pages fort intéressantes dans lesquelles il explique qu'il trouve la cohérence de ses textes a posteriori.



Ici la cohérence, c'est le ménage à trois. "En amour, on croit être deux alors qu'on est trois." Schmitt parle d'humanité, de la complexité des sentiments, de l'invisible, et de la souffrance, que notre société refuse. Souffrance de ne pouvoir avoir d'enfants, souffrance de pardonner après avoir connu Auschwitz, souffrance de ne pas avoir été reconnu de son vivant, souffrance de voir le coeur de son fils transplanté sur un autre, souffrance d'avoir avorté tous les possibles d'une vie.

Et au bout de la souffrance, il y a l'amour, sous toutes ses formes. Toute vie vaut la peine d'être vécue.


" Laurent reprit son souffle.
- Je suis sûr que si tu avais eu un fils, il aurait eu les traits de David.
Cet instant-là, Jean mesura la passion que lui portait son amant. Ils demeurèrent longtemps, les doigts mêlés, la nuque relâchée sur les appuie-tête, le regard brouillé. Dans leur émotion, il y avait la force de l'affection qui les emplissait, mais aussi la frustration, l'intense et abyssal regret de n'avoir pas d'enfants.
- Ca te manque tant que ça? murmura Jean.
- Un enfant?
- Oui...
-Ce qui me manque, c'est un petit toi, un toi miniature, un Jean de poche qui aurait besoin de moi, que je pourrais chérir sans réserve, sans rien t'enlever non plus. Je peux aimer davantage, tu sais, j'ai du matériel dans l'arrière-boutique."

samedi 17 août 2013

A l'encre russe, de Tatiana de Rosnay, une réflexion sur l'identité et l'écriture, un roman mystérieux sur le secret

Premier roman de Mme de Rosnay que je lis enfin, A l'encre russe m'a captivée. Mise en abîme de l'écriture, c'est l'histoire d'un écrivain à succès en mal d'inspiration, qui s'échappe dans un endroit paradisiaque en Italie, et où précisément tout ce qu'il avait fui va le rattraper. Un secret sur son père, disparu en mer, a émergé, et c'est grâce à l'enquête qu'il va mener qu'est né le livre à succès. Mais il y a d'autres secrets, et l'on attend comme lui les réponses. La fin est énigmatique.
Toute création nécessite-elle de la souffrance à l'origine?



"Tu écoutais. Tu étais là. C'est fini. Maintenant, tu es une créature médiatique que tout le monde s'arrache. Jamais tu n'avais été superficiel. Maintenant, tu te regardes dans les vitrines, bon sang. Chaque fois que tu sors, même dans un supermarché, tu espères être reconnu. Tu te cherches sur Google toute la journée. Tu passes des heures à lire des posts sur ta page Facebook. Tu as l'air de croire qu'il est plus important de suivre Nicolas Kolt sur Twitter que de me parler, à moi, à ma fille ou à ta pauvre mère. (...) Peut-être que tu vas finir par ouvrir les yeux et voir ce que tu es en train de devenir. La vie n'est pas une grande tournée littéraire, Nicolas."


La liste de mes envies, de Grégoire Delacourt ou comment comprendre que l'argent ne fait vraiment pas le bonheur, mais alors, pas du tout.

C'est la mode de faire des listes. tous les magazines féminins nous le conseillent, afin que nous apprenions à jouir du moment présent: la liste de mes réussites, la liste de mes projets, la liste de mes voyages, la liste de mes envies. L'envie. Elle dirige le monde. Elle nous fait lever le matin. Elle nous garde les yeux dans le vague, elle nous fait sourire béatement.



Jocelyne Guerbette, mercière à Arras, a épousé Jocelyn Guerbette, et mène une petite vie simple et tranquille. Quelle probabilité y avait-il pour qu'elle épouse un Jocelyn? Quelle probabilité pour qu'elle puisse s'offrir un jour tout ce dont elle rêve, et quitte enfin son existence étriquée et ennuyeuse?

Cela se lit vite, cela se lit bien. On suit la narratrice dans ses doutes et ses craintes, on s'énerve de son manque d'ambition, de folie, de confiance en elle. Qu'attend-elle pour quitter ce gros porc? C'est l'anti-héroïne par excellence, on la voudrait flamboyante, elle est peureuse et effacée. Elle-même se rêve Ariane Deume, mais elle n'est ni belle, ni n'a de seigneur. On pressent le drame, et c'est là qu'elle se révèle.
A force de vouloir tout gagner, peut-on tout perdre?

"Le bonheur coûte moins de quarante euros. Pendant les cinquante minutes du trajet, je somnole dans l'air feutré du TGV. Je me demande si Romain et Nadine ne manquent de rien maintenant que je peux tout leur offrir. (...) Mais cela rattrape-t-il le temps que nous n'avons pas passé ensemble? Les vacances loin les uns des autres, les manques, les heures de solitude et de froid? Les peurs?
L'argent réduit-il les distances, rapproche-t-il les gens?"
(...)
"Je possède juste la tentation. Une autre vie possible. Une nouvelle maison. Une nouvelle télévision. Plein de choses nouvelles.
Mais rien de différent."

Teddy est revenu, de Gilbert Gallerne, un thriller français haletant

 Détrompez-vous, ce n'est pas un roman pour ados, mais bel et bien un thriller à suspens, avec la nature humaine dévoilée dans ses vices les plus vils. 
Lorsque j'ai rencontré Gilbert Gallerne aux Pontons Flingueurs (si, si!) pour Les Salauds du lac, il m'a tout de suite parlé de son autre roman Teddy est revenu, dans lequel l'héroïne porte le même prénom que moi: Laura. Je me suis bien évidemment empressée de me le procurer et il me l'a dédicacé.
Je ne l'ai pas lâché. (le livre, pas Gilbert ^^)



Teddy, c'est l'ours en peluche qui appartenait à la fille de Laura quand elle a été enlevée. Cinq ans après, il est de retour: quelqu'un le lui a envoyée par colis. Qui peut bien lui avoir envoyé, et pourquoi? Quelqu'un veut-il lui signifier que sa fille n'est pas morte, qu'il faut qu'elle se remette à sa recherche?
Laura est déterminée, prête à tout pour retrouver sa petite.

Gilbert Gallerne a la plume chevaleresque, il a bâti une héroïne comme j'aime: fière, fragile, forte, déterminée. On sent toute l'affection et la tendresse qu'il a pour son personnage, et on sait qu'il ne lui arrivera rien. Auteur-démiurge-protecteur. Du coup, je lisais moi aussi, sous sa protection. Et on fait partie du combat pour retrouver la petite.

Ecrit en quatre parties, avec prologue et épilogue, un peu comme au théâtre, avec une plume généreuse et rassurante, certains chapitres suivent le point de vue de quelques personnages en particulier.
On savoure le suspens jusqu'à la fin, qui est hallucinante: LE coup de théâtre. 

"Elle serra la peluche contre son coeur. C'était l'élément le plus fort qui la reliât à sa fille. Jusqu'à présent, elle avait dû se contenter des vieilles photos qu'elle emportait en permanence dans son sac, prête à les montrer à quiconque serait susceptible de lui donner des nouvelles de Lucie. En cinq ans, cela ne lui avait guère servi, bien qu'elle les ait sorties un nombre incalculable de fois. Mais ces photos avaient cinq ans, justement. Alors que l'ours était sans doute tout près de sa fille quelques jours plus tôt à peine."
  

vendredi 16 août 2013

Accabadora, de Michele Murgia, une plume sarde qui ressuscite une Sardaigne aujourd'hui disparue

   De retour de Sardaigne, où j'ai exploré avec bonheur et des amis le pays, de Cagliari à Alghero en passant par la spiaggia di le perle et Mari Pintau, je décide de vous faire partager une lecture d'une auteur sarde, née à Cabras, non loin de Oristano (Vous voyez comme je maîtrise la topographie sarde à présent).

Accabadora est son premier livre traduit en français et excelle à nous plonger dans l'ambiance d'un village sarde du début du siècle. Cette atmosphère de non-dit me fait penser à la vendetta corse de Mérimée, aux femmes fières et fortes au visage buriné par le soleil, aux caractères insulaires entiers et aux traditions tenaces et omniprésentes.



L'accabadora est la dernière mère. Celle grâce à qui on trouve la paix. Elle oeuvre la nuit, drapée de noir. Mais lorsque "sa fille e anima", sa fille de l'âme, Maria, la voit sortir dans l'obscurité, elle s'inquiète et s'interroge. Que fait-elle donc? Le mystère plane longtemps et la vérité sera d'autant plus difficile à entendre, Maria a encore beaucoup de choses à apprendre...

Un extrait: " Durant les cinq années suivantes , Bonaria Urrai s'abstint de sortir la nuit, mais Maria ne le remarqua peut-être pas,trop occupée à se découvrir enfin fille légitime. Ce fut une réussite et, quand elle entra en septième, le village de Soreni avait accepté depuis longtemps cette étrange association. On avait cessé d'en parler au bar, et, dans les conversations qu'on échangeait à l'heure du crépuscule, sur le pas de la porte, la vieille femme et la fillette avaient laissé place à des nouvelles plus fraîches ou plus croustillantes: la fille de Rosanna Sinnai s'était fait engrosser par on ne savait qui, favorisant cet oubli et le cours normal des mauvaises langues."