dimanche 29 septembre 2013

La vérité sur l'Affaire Harry Quebert, de Joël Dicker, LE thriller du moment maîtrisé et remarquable.

Je guettais ce pavé depuis un moment et j'entendais quelques échos fameux qui  augmentèrent considérablement mon intérêt pour lui.  Quand je l'eus enfin entre les mains, il ne me quitta plus.

Que dire? Je suis d'abord impressionnée par la maîtrise de ce jeune auteur (un an de moins que moi!) qui a séjourné aux Etats -Unis et place donc son histoire dans le New Hampshire.
C'est un roman à tiroirs qui navigue entre l'Amérique des années 70 et celle de l'Election d'Obama, 2008. C'est une mise en abyme de l'écriture, un écrivain qui raconte l'histoire d'un écrivain en mal d'inspiration: jusqu'à la toute fin, au moment des remerciements,  il y a une confusion entre auteur et narrateur. C'est une réflexion sur la littérature, les travers de la société moderne, le milieu de l'édition, la justice, les médias. La construction du livre est remarquable, tant par l'imbrication des intrigues, les flashs backs, et les souvenirs placés à bon escient, que par le suspense captivant jusqu'au dernier chapitre.

J'ai adoré voyager aux Etats Unis avec Marcus Goldman, et je suis tout à fait d'accord avec ce que dit son "maître" Harry Quebert: "Un bon livre est un livre que l'on regrette d'avoir terminé."
J'aimerais beaucoup replonger dans le livre, et qu'il n'ait pas de fin. Pourtant, c'est contradictoire, car en tant que thriller, on attend avec impatience d'avoir le nom du coupable, et le mot de la fin.
Ca y est, je sais. Mais je suis triste d'avoir fini.
Refaites-nous un bon roman, Monsieur Dicker...




Marcus Goldman est le nouvel écrivain à la mode  à New York, qui surfe sur le succès de son premier livre. Mais voilà, depuis il n'a plus rien écrit. Le deuxième chef- d'oeuvre tant attendu ne sort pas de son esprit. La magie n'existe plus. Pressé par son éditeur et le délai imparti, il choisit de se rendre chez son ancien prof d'université, maître à penser et ami: Harry Quebert.
Dans la magnifique maison du maître, il est persuadé qu'il va retrouver sérénité et inspiration. Mais tout bascule en quelques jours: on déterre le cadavre d'une jeune fille de quinze ans, Nola Kellergan, dans le jardin de Quebert: il se trouve que c'était son amante en 1975, quand Quebert en avait trente...
Le passé revient en foule, et voilà le maître arrêté et incarcéré.
Convaincu de l'innocence de son ami, Marcus entreprend de mener l'enquête et d'écrire un livre pour rétablir la vérité. Mais rien ne se passe comme prévu, et Marcus va de surprise en surprise.
Nous aussi.

" Un bon livre, Marcus, ne se mesure pas à ses derniers mots uniquement, mais à l'effet collectif de tous les mots qui les ont précédés. Environ une demi-seconde après avoir terminé votre livre, après en avoir lu le dernier mot, le lecteur doit se sentir envahi d'un sentiment puissant; pendant un instant, il ne doit plus penser qu'à tout ce qu'il vient de lire, regarder la couverture et sourire avec une pointe de tristesse parce que tous les personnages vont lui manquer. Un bon livre, Marcus, est un livre que l'on regrette d'avoir terminé."


(Soupir)



mardi 3 septembre 2013

Le magasin des suicides, de Jean Teulé, une tragi-comédie douce-amère

Le titre ne m'attirait pas plus que cela, mais je me rappelais qu'un dessin animé avait été adapté à partir du roman par Patrice Leconte: il devait donc comporter une certaine dose d'humour.
En effet, je n'ai pas été déçue: le cynisme bat son plein! En témoigne le slogan du magasin:" Vous avez raté votre vie? Avec nous, vous réussirez votre mort!"



Nous sommes dans un monde où la dépression est monnaie courante, et chez les Tuvache depuis des générations, on commercialise tous les accessoires possibles et inimaginables pour réussir son suicide. Toute la famille se complaît dans le lugubre jusqu'au jour fatidique où naît le petit dernier... le sourire au lèvres. Comment diable prospérer avec une telle joie de vivre? Rien ne va plus.... 



"Vous ne le regretterez pas. Ah! je suis bête, j'allais vous dire: "Vous m'en direz des nouvelles." C'est cet enfant qui me rend folle! maugrée Lucrèce en tendant le menton vers Alan, debout, les pieds joints et mains sur la tête devant l'angle du rayonnage des cordes. Vous avez des enfants, madame?
- Justement, j'en avais un... Il est venu un jour vous acheter une balle de 22 long rifle.
- Ah.
- Il voyait tout en noir. Je n'ai jamais su le rendre heureux.
- Eh bien, nous, on ne peut pas en dire autant de notre dernier... se désole Mme Tuvache. Lui voit la vie en rose, vous vous rendez compte? Comme s'il y avait de quoi! On ne sait pas comment ça se fait. Et pourtant, je vous assure qu'on l'a élevé comme les deux autres qui sont dépressifs comme il se doit, alors que lui remarque toujours le bon côté des choses, soupire Lucrèce."


C'est drôle et bon enfant, l'humour noir est souvent contrebalancé avec le rayon de soleil qu'est le personnage d'Alan. C'est aigre-doux, c'est sucré-salé, on sent que l'auteur s'est amusé, et a balancé noirceur et arc- en- ciel tout ensemble avec sa plume. 
J'ai hâte de voir l'adaptation en film d'animation!

dimanche 1 septembre 2013

La femme au miroir, d' Eric-Emmanuel Schmitt

    Comme souvent chez l'auteur, on saisit la cohérence du livre et des personnages au fur et à mesure du roman. Cela aurait pu être trois nouvelles,  c'est une seule et même histoire.

     Trois femmes: Anne vit à Bruges au temps de la Renaissance, prête à épouser un homme qui l'indiffère, préférant regarder voleter un papillon et sentir vibrer le monde plutôt que de se concentrer sur les essayages de sa robe nuptiale.
                           Hanna vit dans la Vienne impériale de Sigmund Freud, s'est marié avec un époux idéal, bon parti, doux et attentionné. On attend d'elle un héritier.
                           Anny vit à Hollywood de nos jours. Actrice adulée, elle se plonge dans la drogue et l'alcool pour rêver d'une autre vie.



Très vite, avec l'onomastique (Anne, Hanna, Anny), on songe que c'est une seule et même femme. Puis on comprend que c'est plus profond que cela. Les liens se tissent, le fil de l'intrigue se dénoue.
Elles se ressemblent tellement! Elles sont à part dans leur époque, incomprises de leurs contemporains.
Elles se perdent, se cherchent, refusent le rôle que leur imposent les hommes: elles veulent être maîtresses de leur destinée.
Quelle femme ne s'est pas tenue devant un miroir en se demandant: "Qui suis-je?", "Pourquoi suis-je au monde?"

" Sitôt qu'elle rentrait au coeur d'une méditation, en fixant l'azur, en observant les poissons, en suivant le voyage des oiseaux, ce n'était ni les uns ni les autres qu'elle voyait, mais l'énergie qui les sous-tendait, la joie qui amenait la vie, l'ivresse de la création. Sous le bienfaisant tilleul, elle quittait tout: elle d'abord, le monde matériel ensuite, puis, au pic brûlant de l'expérience, elle échappait aux mots, aux idées, aux concepts. Ne demeurait que ce qu'elle ressentait. Elle avait l'impression de se dissoudre dans la lumière infinie qui tramait la toile du cosmos."

La dernière conquête du Major Pettigrew, de Helen Simonson


 Le Major Ernest Pettigrew tient à peu de choses dans la vie: l'heure du thé, les deux fusils paternels, et ses chers Rudyard Kipling. A Edgecombe Saint Mary, il incarne le parfait gentleman qui ne déroge à aucun principe, et ne manquerait pour rien au monde les rendez-vous avec ses amis du club de golf.
           Dans ce charmant village de Royal Sussex, les femmes cancanent, virevoltent et vitupèrent, les hommes subissent, et fuient à la chasse. Veuf, retraité et délaissé par un fils dévoré par l'ambition et le pouvoir de la City, le Major est libre et coule des jours identiques, dictés par la bienséance.
           Mais voilà que l'amour s'en mêle, sous les traits de Mme Ali, l'épicière d'origine pakistanaise.
Sir Ernest se retrouve avec une quantité phénoménale de thé et de lait, ne sachant comment aborder autrement la douce. Après avoir engagé tant de conquêtes, le soldat recule! Osera-t-il mener à bien cette dernière, contre les convenances, la vox populi et... lui-même?



On plonge avec plaisir dans cette campagne anglaise, cet univers so british, et  délicieusement suranné. On rit de voir ces ladies et gentlemen confronter leurs us et coutumes folkloriques avec notre époque.
Une plume alerte, drôle et acérée, qui retrace tout le charme désuet du royaume de Sa Majesté.

"Mardi, étant à court de lait, il évita la boutique et roula plutôt jusqu'à la station-service dans le réfrigérateur à côté d'un présentoir de bidons d'huile. Quand Alec l'appela au sujet du golf de jeudi, il tenta de se faire porter pâle en se plaignant d'un début de migraine.(...)
- Si vous redoutez de tomber sur le comité des dames du bal, moi, je ne m'inquiéterais pas trop. Daisy a expédié Alma à Londres pour aller voir des costumes; j'ai dit à Alma qui si elle me dégote autre chose de plus qu'un casque colonial, je fais appel à mes avocats."
   Le major se laissa convaincre. Au diable les femmes, de toute manière, songea-t-il en allant chercher son sac de golf. Comme il était préférable de se consacrer à ses amitiés masculines, qui constituait le fondement d'une vie paisible."