samedi 25 avril 2015

Matins bleus, de Jean Marie Laclavetine

     Je garde un souvenir ému de ma première lecture de Laclavetine, en 1999, avec le roman Première ligne. J'étais alors en Première littéraire et notre prof de Lettres nous avait inscrits au Goncourt des lycéens. Dans la sélection, je me souviens de  Je m'en vais de Echenoz, de Stupeur et tremblements de Nothomb (et oui c'était la même année!), de Une désolation de Reza. Cela marque mon entrée solennelle dans le monde des lettres: un souvenir fabuleux que ce prix littéraire à décerner.
   Rapidement, le choix d'une partie de la classe s'est porté sur Première ligne, d'autant plus que nous avions rencontré son auteur, à Lyon, à l'auditorium.
         Déjà nous avions apprécié ce pro du discours indirect libre, ce poète romancier qui nous offrait des facettes de la vie, toujours oscillant entre rires et larmes, ton grave et ton léger.

           Par conséquent, c'est avec le sentiment de retrouver une connaissance perdue de vue depuis longtemps que je me suis emparée de Matins bleus à la bibliothèque. J'ai retrouvé la patte Laclavetine : les interventions du narrateur, le DIL, l'humour, un regard plein de compassion pour ses personnages.

Dans Matins bleus, on suit une journée de mai dans une gare, salle des pas perdus (quelle belle expression quand on y pense). Heure par heure, minute par minute presque, le lecteur suit 15 vies qui se croisent. Quinze personnes dont on suit les pensées, l'espace de quelques pages, avec des phrases qui commencent in medias res et qui s'interrompent sans crier gare.
  Mais pas seulement: on suit aussi le  point de vue quasi-omnicient de Ange, qui repeint en bleu la verrière de la gare, et qui du haut de sa nacelle, porte évidemment bien son nom. Il est attentif à tous ces grands et petits événements qui ont lieu en bas.

Voici une conversation de Anita et Léo, mère et fils que l'on retrouve de manière récurrente: ils tiennent le tabac presse de la gare: on y décèle déjà bien l'humour du narrateur, son point de vue omniscient, et l'atmosphère délétère qu'il installe. Pour un matin de mai, bleu n'est pas vraiment la couleur attendue...

"Anita a pris son fils par le bras, elle le secoue dans l'espoir peut être qu'il en tombe des prunes, Léo agite l'épaule et pousse un meuglement typique d'adolescent, tel que déjà le fils de Cro-Magnon devait en pousser, cet espéranto de l'acné qui ne connaît ni siècles ni frontières.

- Qu'est-ce qu'il t'a dit? poursuit la mère. Il ne t'a pas mêlé à ses histoires, au moins?

- Meuh questu délires. Faut te calmer, là. Quoi tu parles, là, maugrée Léo en se dégageant.

(Un souci de rigueur ethnologique a poussé le narrateur à reproduire la diction et les tournures de l'adolescent. Par la suite, ses propos seront autant que possible traduit en langage humain standard.)

Une bande de pigeons traversent le hall. Un client s'impatiente devant la caisse, ses doigts pianotent sur ses achats, Challenges, Le point et le dernier paneton de Robert Ludlum. Allez, au boulot.

   C'est un matin bizarre. Il y a dans l'air une odeur changeante."