vendredi 22 avril 2016

Le livre des Baltimore, de Joël Dicker

Après l'Affaire Harry Québert, Joël Dicker reprend son narrateur: Marcus Goldman, écrivain à succès de New York, dans ce roman qui va s'avérer une autobiographie de ce personnage, ou plutôt de sa famille.
Marcus parle d'emblée d'un Drame, qui a marqué un avant et un après dans l'histoire familiale.
Jusqu'au jour de ce fameux Drame, la famille Goldman comporte deux entités distinctes: les Goldman de Montclair: les parents de Marcus et lui-même, et les Goldman de Baltimore: l'oncle de Marcus, sa femme Anita et le cousin Hillel.

Ces Goldman de Baltimore mènent une vie luxueuse et prospère, et Marcus est totalement en admiration devant son oncle Saul et sa famille. Tout lui semble parfait chez eux, leur villa, leurs repas de Thanksgiving, leur vacances à Miami, leur maison de vacances dans les Hamptons. Les souvenirs remontent et il nous livre toute la fascination qu'il éprouvait pour cette famille de l'Amérique huppée, allant jusqu'à avoir honte de ses propres parents.
 Puis le livre avance (mais pas celui que Marcus est censé écrire) et on se demande ce qui  a bien pu arriver, quel est ce Drame qu'il ne cesse de ressasser, et surtout comment cela a bien pu arriver à une famille à qui visiblement tout réussit.

On comprend finalement que le tableau n'était pas si parfait que ça, et que le vernis se craquèle au fur et à mesure qu'il avance dans l'"enquête" sur sa famille.

On retrouve un peu la même construction que pour l'Affaire Harry Québert: flash-backs, imbrication de souvenirs, évènement mystérieux et clou pour la fin du roman.

Je l'ai lu avec plaisir, mais celui-ci était moindre que pour l'Affaire.



"Baltimore.
Années 90.

Les moments de bonheur avec les Goldman-de-Baltimore  étaient contrebalancés deux fois par an, lorsque nos deux familles se réunissaient: à Thanksgiving, chez les Baltimore, et pour les vacances d'hiver à Miami, en Floride, chez nos grand-parents. A mes yeux, plus qu'à des retrouvailles, ces rendez-vous familiaux s'apparentaient à des matchs de football. D'un côté du terrain, les Montclair, de l'autre les Baltimore, et, au centre, les grands-parents Goldman, qui officiaient en tant qu'arbitre et comptaient les buts.

Thanksgiving marquait le sacre annuel des Baltimore. La famille se réunissait dans leur immense d'Oak Park et tout y était parfait, du début à la fin."

mercredi 13 avril 2016

D'après une histoire vraie, le dernier de Delphine de Vigan

Le dernier roman de Delphine de Vigan est ce qu'on pourrait appeler un thriller psychologique. Tout est dans la manipulation. Reste à déterminer qui est véritablement manipulé. L'héroïne, ou le lecteur?



La narratrice s'appelle Delphine, est en couple avec François, critique littéraire passionné de romanciers américains.  Ca nous rappelle forcément quelqu'un... Elle est écrivain et éprouve un monde de difficultés à rédiger son dernier livre. Elle n'écrit plus une seule ligne, en fait.
Elle rencontre un jour L. qu'elle admire immédiatement et qui entre rapidement dans sa vie, comme amie, confidente, colocataire, sosie... Elle nous prévient d'emblée de l'ascendant que cette femme a eu sur elle, puis nous raconte comment L. (elle) a pris possession de sa vie, la vidant littéralement de toute substance.
L. est nègre pour des célébrités, elle est écrivain aussi donc. Elle va rapidement, vous le devinez, prendre la place et écrire à la place de Delphine. Elle raconte qu'elle met toujours le mot FIN, à chacun de ses livres, pour signifier au lecteur que c'est terminé. Elle ajoute que sa marque de fabrique est une étoile qu'elle rajoute au mot FIN.
Delphine construit d'emblée une atmosphère d'angoisse qui trouve son acmé à la fin de l'histoire. Le lecteur sent monter la tension et  a d'emblée une antipathie pour cette L. (elle!)
Delphine reçoit en outre des lettres de menace sur le contenu de ses précédents livres: où le contenu autobiographique sur sa mère et sa famille (là on pense à Rien ne s'oppose à la nuit) a dérangé l'auteur des lettres.
Il y a donc une réflexion sur l'écriture autobiographique et la fiction. Dans le roman Delphine rencontre des lecteurs qui affirment vouloir lire la vérité: les lecteurs au fond veulent savoir si c'est vrai, et ne veulent pas tant que ça qu'on leur raconte des histoires.

Or, Delphine s'amuse et son jouet c'est nous, lecteur, pris dans les filets de sa narration en abîme. Le titre évoque une autobiographie, et tout le long Delphine distille des effets de réel, tout en se défendant de vouloir raconter le vrai dans ses romans. Elle joue avec la réalité et la fiction. Elle joue à être l'auteur et le narrateur, et aussi un autre personnage. Car cette L. c'est elle! Non? Non! Non. Mais alors QUI a écrit ce livre?
 Elle veut instiller le doute dans l'esprit du lecteur, et le mot FIN avec une étoile à côté nous cloue littéralement à ce sentiment  d'avoir lu un livre brillant, et aussi d'avoir été brillamment manipulé. Le lecteur se console en se disant qu'il est finalement lui aussi, un personnage du livre.

J'ai retrouvé ce passage, qui, après relecture, est éloquent sur la duplicité de la narratrice. On continue de chercher des réponses, même après avoir lu le livre. Est-ce que c'est vrai? En même temps, quand on dit "d'après", c'est que ce n'est pas tout à fait la réalité. Elle s'est protégé, en mettant ce "Après". Bon, j'ai compris, je ne suis pas prête d'avoir les réponses à toutes mes questions. A moins que je ne rencontre Delphine de Vigan? Et non justement c'est cela qu'elle ne veut pas. Ce qu'elle  veut, c'est qu'on soit pris dans une histoire, et avec celle-ci, elle m'a captivée.

 "Je serais une autre.
L. ravivait cet espoir inassouvi d'être plus belle, plus spirituelle, plus confiante, d'être quelqu'un d'autre en somme, comme dans cette chanson de Catherine Lara qu'adolescente j'écoutais en boucle: Fatale, fatale, j'aurais voulu être de ces femmes pour lesquelles tout le monde s'enflamme, fou d'amour, foudroyé..." 

Est-ce qu'elle écoutait vraiment cette chanson? En même temps écrire un livre c'est le meilleur moyen pour être cette "autre"!

"Encore aujourd'hui, même si avec le temps je me suis peu à peu accommodée de ma personne dans son ensemble, même s'il me semble vivre en paix, et même en harmonie, avec celle que je suis, même si je n'éprouve pas le besoin impérieux de troquer tout ou partie de moi-même contre un modèle plus attractif, j'ai gardé, je crois, ce regard sur les femmes: une réminiscence de ce désir d'être une autre qui m'a si longtemps habitée."

Si. Le lecteur a envie d'être aspiré dans une histoire. Plus rien ne compte autour, que de continuer cette lecture, coûte que coûte. Lui aussi, peut vivre et être "autre".