lundi 11 novembre 2013

Une part de ciel, de Claudie Gallay

      Lorsque j'ai reçu ce livre pour les Matches de la rentrée littéraire Price Minister-Rakuten, je l'ai tout de suite trouvé très beau: le titre poétique, ainsi que la première de couverture, elle aussi éminemment  esthétique, et qui arrivait tout à fait à bon escient en ce début d'hiver. J'avais donc hâte de l'attaquer.




     
      Début décembre, Carole, la narratrice, revient dans ses terres natales: loin dans la montagne, au bout du monde semble-t-il, dans le massif de la Vanoise, où l'hiver est en train de s'installer. Elle a reçu une boule de neige de son père, réminiscence d'enfance et message implicite lui demandant de rentrer au bercail, tout comme ses frère et soeur: Philippe l'aîné, et Gaby la benjamine.

     Le livre est bâti comme le journal intime de Carole, où l'on voit les jours de décembre filer, le temps se suspendre et tomber doucement comme les flocons. Le rythme se ralentit, dans une atmosphère feutrée, glacée: on ressentirait presque l'ennui de la narratrice. Celle-ci est revenue pour voir un père souvent absent, toujours parti, et l'histoire est rythmée avec l'attente du paternel Curtil. La question est lancinante: Curtil sera-t-il là pour Noël? Quand Curtil va-t-il arriver? Combien de temps va-t-il falloir attendre Curtil?
    Carole semble obsédée par cette question au départ, sans réaliser qu'au fond, ce serait l'occasion de renouer des liens avec son frère et sa soeur. Car autant Philippe et Gaby se ressemblent, autant Carole est celle qui est partie de la vallée natale: celle qui pourtant ressasse le passé  alors qu'elle a sans doute essayé de le fuir.
      Le passé, c'est cet incendie de la maison familiale dans leur enfance: où un drame s'est noué et qui a encore des latences aujourd'hui.
       Or, Philippe et Gaby sont bien là, eux, et ils sont en demande d'attention. Chacun porte en lui une part de ciel que Carole va finir par découvrir. Cette part d'absolu qu'il n'est pas facile de révéler, même au sein d'une famille. Surtout au sein d'une famille.

       Je retiens de ce livre une atmosphère glacée au départ, un ennui enneigé, qui va peu à peu se réchauffer, au fil des jours d'attente de décembre. Cela m'a fait penser un peu à En attendant Godot, de Becket, cette attente dont on sait qu'elle n'est qu'un prétexte, et qui est absurde car l'essentiel n'est pas là. L'essentiel, c'est cette tendresse qui se voile pour mieux se révéler, comme l'artiste Christo dont la narratrice fait la traduction.
      On n'attend nous aussi que ça, comme Carole qui comprend ce qu'elle est venue chercher, mais tard: un coeur apaisé, un pardon évident, une tendresse fraternelle, un amour rassurant.

      Je retiens aussi la capacité de Gallay à établir des atmosphères de village du bout du monde, comme je l'avais d'ores et déjà apprécié dans Les Déferlantes. 
       Dans le Val-des-Seuls, la vie est difficile mais on ne se plaint pas: son frère bourru s'occupe de préserver leur patrimoine naturel et est on ne peut plus attentif et prévenant, sa soeur se débat avec son homme en prison et une fille qui n'est pas la sienne, mais n'émet jamais aucune plainte. Il y a aussi la Baronne qui ne vit que pour les chiens qu'elle a recueillis, le beau Jean qui laisse le coeur de Carole pantois et gelé, le vieux Sam qui tient le dernier commerce et prodigue ses souvenirs comme autant de conseils, le "bar à Francky" enfin, lieu névralgique, emblématique du village et de la narratrice: tiraillés entre le devoir et l'envie, rester ou partir, se révéler ou se bercer d'illusions.
   
      J'aurais juste voulu que les scènes de tendresse familiale soient plus nombreuses et interviennent plus vite. Car on a froid longtemps, si je puis dire. Sans tomber dans les bons sentiments, mais que cette chaleur de Noël soit manifeste. L'attente est longue et pesante, les journées rudes. On s'énerve nous aussi, comme les autres personnages, contre la narratrice qui s'enferme dans son égoïsme et ses obsessions. On en vient même à penser qu'on est comme enfermés avec elle dans ces boules de neige qu'on agite.
     
         Heureusement, le soleil d'hiver arrive à bon escient à la fin, pour faire fondre le passé et révéler tous les futurs possibles pour Carole, Philippe et Gaby.