jeudi 10 avril 2014

Thierry Cohen, photographe de villes éteintes

J'ai découvert grâce à ma soeur un photographe du nom de Thierry Cohen, qui prend le parti de capturer les villes en plein jour (donc sans aucune lumière), puis d'inverser le négatif pour les révéler en pleine nuit (toutes lumières éteintes donc, si vous avez suivi :).
Le but étant alors de révéler toute la magie d'un ciel comme on n'en voit jamais plus, avec toutes ses incommensurables et époustouflantes étoiles. On nous offre la voie lactée à portée de main.
T. Cohen a pris un ciel sous la même latitude, et le monte ensuite sur la photo de la ville éteinte.
Le résultat est saisissant:


Voici Rio la nuit. La photographie est l'écriture de la lumière, étymologiquement; et on a ici un bel exemple.






Tokyo by night. En étudiant la photo, on s'aperçoit qu'elle a même un côté angoissant. Absolument personne! Juste la lumière des étoiles.






San francisco. Toujours la voie lactée. L'immensité est comme accentuée, démultipliée. Juste le ciel, et la terre.



Enfin, ma préférée: Paris sous les étoiles. C'est la plus magique. Qui révèle la ville dans toute sa beauté et son mystère.


L'analphabète qui savait compter, de Jonas Jonasson, une épopée délirante et réjouissante.

Après Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, son premier livre, on reconnaît facilement la patte de Jonas Jonasson, ne serait déjà que dans le titre farfelu, qui annonce la couleur tout aussi hétéroclite et déjantée de l'histoire qui va suivre.



C'est comme pour Le vieux...., l'histoire d'un périple improbable, inouï, fabuleusement drôle,  où le destin est roi.
Nombeko Mayeki est une petite fille noire née dans le plus grand bidonville d'Afrique du Sud.  Là tout de suite, vous me direz, ça n'a pas l'air super joyeux comme histoire.  Certes. Surtout que celle-ci travaille aux latrines collectives et doit ramasser la m..... des autres pour gagner quelques pièces, qui se retrouveront aussitôt dans les veines de sa mère. Après une telle entrée en matière, on se dit que la petite ne va pas faire long feu, et que le roman va vite s'achever. Que nenni. Le Destin entre en scène. (enfin! parce que là c'était même trop). Nombeko sait compter, mais pas comme vous et moi: non, c'est un prodige. Et avec ce bagage-là, elle va entamer son aventure et faire des rencontres loin de son pays, bien loin, et se mêler de politique internationale.

C'est aussi savoureux que le premier roman, on retrouve les mêmes ingrédients, et l'on passe un très bon moment. C'est construit assez admirablement, où tout s'imbrique à la fin, où le Destin se marre bien, et nous aussi.

"Par chance, il se trouva que Nombeko, alors âgée de treize ans, fut importunée par un vieux libidineux dans les douches des vestiaires des videurs de latrines. Avant que l'individu ait eu le temps d'arriver à ses fins, la gamine le ramena à de meilleures pensées en lui plantant une paire de ciseaux dans la cuisse.
Le lendemain, elle alla le trouver de l'autre côté de la rangée de latrines du secteur B. Il était assis sur un siège de camping, la cuisse bandée, devant son taudis peint en vert. Sur les genoux, il avait... des livres.
- Qu'est ce que tu veux? lui demanda-t-il
- Je crois que j'ai oublié mes ciseaux dans ta cuisse, monsieur, hier, et je voudrais les récupérer.
-Je les ai jetés.
- Dans ce cas, tu m'en dois une paire. Comment se fait-il que tu saches lire?"


Karoo, de Steve Tesich, ou la noirceur cynique à l'état pur.

     Je l'avoue, c'est d'abord, la couverture qui m'a interpellée et attirée. Gris miroir, avec deux hommes qui s'empoignent et dont on ne voit pas la tête. Elle est assez à l'image de la noirceur tragique du roman, de sa violence latente.



      Trois parties: New York, Los Angeles, Sotogrande, où l'on suit Saul Karoo dans ses délires et ses névroses. Egoïste et pathétique, il est script doctor,  a fait fortune en saccageant des chefs d'oeuvre du cinéma pour les rabaisser aux exigences hollywoodiennes. Tout le monde l'appelle Doc, et le tient en haute estime, son fils Billy y compris, alors que Karoo est incapable de quelque démonstration affective que ce soit, sauf s'il y a un public pour voir ça.
Karoo a tellement ingurgité de vodka dans sa vie que cela ne lui fait plus rien, et qu'il en est réduit à mimer l'ivresse en soirée pour contenter tout le monde et parfaire sa réputation.
        Puis sa pauvre vie l'amène à rencontrer Leila Millar, jeune actrice pathétique elle aussi, qui rêve de devenir une star, tandis qu'elle est serveuse. Etonnament, il se prend d'affection pour elle, et est prêt à tout faire pour qu'elle connaisse le succès.  Mais comme toujours, s'il fait cela, c'est qu'il y a une raison, un secret inavouable derrière tout cela.

Le début est un peu lent, et l'on voudrait s'attacher à ce personnage, mais c'est absolument impossible: trop cynique, trop mou, trop con: on a envie de l'empoigner comme sur la première de couverture et de le secouer.  On pressent l'inéluctable dans les non-dits, les silences et les regards lourds. Et l'inéluctable arrive.

"Je trébuchais à chaque pas, tanguais et titubais, je bousculais les gens, m'excusant d'une voix enrouée quand je renversais un peu du contenu de leur verre, avant de continuer ma route en faisant de mon mieux pour avoir l'air ivre, et donc, normal. Cela ne m'amusait pas du tout d'être un imposteur. C'était déjà assez gênant d'être un alcoolique rasoir et irresponsable, qui de surcroît commençait à prendre de l'âge, sans maintenant devoir assumer une nouvelle identité dans le but de dissimuler un autre problème, bien plus calamiteux celui-là."