dimanche 2 juin 2013

Blandine Le Callet, une femme- écrivain à la plume acérée, et troublante

Le premier roman que j'ai découvert, c'est Une pièce montée:

La structure de ce roman est intéressante et originale: comme le titre l'indique, nous allons assister à un mariage (rien de bien extraordinaire jusque là) , et pourtant chaque chapitre correspond au point de vue d'un invité. Et l'on comprend très vite que le but est de faire valser les convenances, éclater le conformisme bourgeois, pétiller un ton insolent somme toute de bon aloi. Le style est piquant et réjouissant. Voici un extrait: l'apogée d'un mariage, c'est la pièce montée, et Blandine le Callet prend un plaisir minutieux et malin à la faire voler en éclat:

"   A présent, le dîner touche à sa fin. Cette interminable journée n'a pas été la sienne; il s'est contenté d'accomplir avec docilité ce qu'on attendait de lui. Il a embrasse sa femme, et il l'a trouvée belle et désirable, mais jamais elle ne lui a semblé si lointaine. Et maintenant c'est presque fini. Il dansera un peu, puis il lui dira la vérité: qu'il est épuisé, qu'il va se reposer dans leur chambre, la "suite nuptiale" réservée pour l'occasion.
      La pièce montée arrive, sur un plateau immense portée par deux serveurs. Il voit osciller au rythme de leur marche cette tour de Babel en choux à la crème, surmontée du traditionnel couple de mariés. Il se dit: C'est moi, ce petit bonhomme, tout en haut. C'est moi.
      Il se demande qui a pu inventer un gâteau aussi ridicule. Cette pyramide grotesque ponctuée de petits grains de sucre argentés, de feuille de pain azyme vert pistache et de roses en pâte d'amande, cette monstruosité pâtissière sur son socle de nougatine. Et ce couple de mariés perché au sommet, qu'est-ce qu'il symbolise, au juste? Les épreuves surmontées à deux? L'ascension périlleuse jusqu'au septième ciel? La prétention de ceux qui s'imaginent que l'amour va durer toujours?
     Il paraît que si le gâteau est monté trop tôt, les choux se détrempent et s'affaissent, le caramel se dissout, et tout dégringole. C'est peut-être ça, le message, au fond: vous êtes bien mignons aujourd'hui, mes petits mariés, mais attendez encore un peu; votre joli petit couple va en prendre plein la figure, et vous allez ramasser en beauté."

Comme j'ai adoré le ton décapant de ce roman, j'ai enchaîné avec La ballade de Lila K:


Il y a indéniablement du Georges Orwell et du Ray Bradbury dans ce roman qui vous saisit à la gorge. C'est l'histoire d'une petite, Lila K qu'on a arraché à sa mère, et qui est prise en charge par une société totalitaire et ultra sécuritaire. Ce monde froid et désincarné vous glace le sang, et l'on suit avec admiration et tendresse les pas de Lila, asociale, meurtrie, surdouée, et sa lente remontée vers la lumière pour retrouver sa mère. Quel courage et quelle force! Une leçon sur la force du lien et du pardon. 

     "Certains jours, quand ça devenait trop dur, je montais sur le toit pour me faire une séance de kaléidoscope. Durant quelques minutes, j'envoyais tout promener, les immeubles par dessus les moulins dans un tourbillon de couleurs. Je m'arrachais les yeux, mais ça me soulageait. Ensuite, je me mettais à déclamer des vers, à hurler des insanités, comme autrefois avec M. Kauffmann. Cela faisait un bien fou, tous ces putain d'Adèle et ces bordel à cul, au milieu des alexandrins. Revenue dans ma chambre, je passais des heures à lire le dictionnaire, choisissant les termes les plus rares et les plus compliqués, dont j'apprenais par coeur la définition."

Puis cette année 2013, elle a sorti Dix rêves de pierre:


Le style de Blandine le Callet se retrouve là encore: une plume troublante, aux confins du morbide, qui choisit cette fois de nous conter, à partir d'épitaphes dénichées au hasard, les dernières heures de personnes ensevelies. Dix nouvelles qui ont surgi à partir du pouvoir d'évocation d'épitaphes authentiques: dix destins dont on connaît la fin douce ou violente, avant même de commencer l'histoire. On traverse les siècles, et l'on réalise que l'humanité, immuable comme la pierre, n'a pas changé: mêmes peurs, mêmes passions, même amour. Une plume pour conjurer l'oubli.

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